Chronique hebdomadaire en occitan dans sud-ouest Dordogne - Martial Peyrouny

La langue d'oc en Périgord ou comment comprendre les indigènes et mieux les apprécier.

dimanche, août 03, 2008

« La batedoira » (prononcé lo batédouyro)-la batteuse.

Dans le registre c’était mieux avant « veiqui », voici « la batedoira ». La première grande révolution agricole « fuguèt », fut cette machine qui nécessitait du monde mais qui permettait de gagner beaucoup de temps. Mais une batteuse comment ça marche ?

« Fau de’n prumier tot netiar ». Il est nécessaire que tous les lieux de travail soient propres : grange, grenier, « granier o solier », et la cour. Pour faire marcher « la batedoira » il y a une locomotive, d’où la nécessité de préparer « lo bòsc de braça », le bois d’alimentation de la chaudière. Un de mes grands-pères tenait la place « de l’engrenador », l’homme qui glisse les épis entre « las dents de la batedoira » en faisant en sorte de ne pas se faire happer le bras. Pendant ce temps, en bas de la machine « los ensachadors » remplissent les sacs de grain et les marquent. « Los òmes fòrts », les plus solides « paran las gerbas », jettent les gerbes à la fourche en haut de la batteuse. Elles sont attrapées, « a costa de l’engrenador », par d‘autres personnes, « los desmeladors o desliadors » qui détachent et préparent les gerbes pour « l’engrenador ». « Au tuòu de la batedoira », à l’arrière de la machine, « las palhejairas » tirent la paille « au rasteu », au râteau, pendant que d’autres enlèvent les « borrilhs », la poussière au balai, « a la balaja ». Peut-être que la place la moins difficile est « au palhier » à placer la paille en ordre dans la grange. Tout ce travail se fait « dins la pòuvera », dans la poussière et la chaleur.

Heureusement les repas de battage étaient à la hauteur du travail : gargantuesques ! « Lo torrin », la soupe, « e lo chabròu » étaient suivis de civet de lapins avec des crêpes de sarrasin, « daus crespeus ». Ma grand-mère me disait qu’elle en faisait des montagnes et que chacune devait être assez fine pour qu’une fois roulée elle pût passer dans son alliance. « E de segur », et bien sûr tout ça avec «de las padelas », avec des poêles en fonte !

L’escodasons (prononcé l’èïcodazou)- les battages

« Pareis qu’antan qu’era totjorn mielh », il paraît qu’avant c’était toujours mieux. Tu parles ! « Piaula merla » ! Avant l’invention des moissonneuses-batteuses, il fallait « meitivar a la man », couper les blés à la main, puis il fallait battre, « escodre », là encore, « aqui enquera, a la man ». Pour les nostalgiques qui regrettent une époque qu’ils n’ont souvent pas connue et aussi pour les autres simples curieux, je vais expliquer un peu la démarche pour bien battre « lo blat (prononcé lou blo ou lou blat), le blé.

D’abord il faut bien préparer le terrain en « l’embosar », en le couvrant de boue mêlée de bouse afin de bien le rendre étanche. « lendoman », le lendemain, le travail commence par « l’ensola », le fait de couvrir « l’embosa » avec les épis « de blat », tiges tournées vers l’extérieur, « lois costons virats tras l’endefòrs ». Sa forme rappelle le soleil, d’où le nom de cette action « mettre solada ». Là peut commencer la danse « daus escodeires » armés de leurs « flageus o fleus », de leur fléaux de bois de houx « de grafohla » pour ce qui est de la latte articulée à « un todon », à un manche de châtaigné par un lien de peau d’anguille passé dans « un torilhon » en nerf de boeuf tournant autour « d’una vira », d’une virole métallique. Chacun, face à face, frappe « las espijas », les épis en cadence comme des fouets des postillons, d’où son nom de « tener la posta ». Cela ressemble presque à une danse de transe.

« Un còp ‘chabat », une fois ce travail fini, à l’aide de la fourche « a dos bencs », à deux fourchons il faut sortir la paille emportée ensuite avec une autre fourche, « lo pic » pour être mise en meule. « La balòfa », le grain et la balle sont rassemblés au milieu de « l’embosa » avec un racloir, « lo redable ». Il reste à séparer le bon grain de l’ivraie en jetant « la balòfa » en l’air, le plus haut possible et dans le sens du vent à l’aide d’une pelle en bois.

La moissonneuse batteuse est moins couleur terroir mais bien plus efficace.

« Quò es pas meschent » (prononcé [co’w èi pa mèïssein])- littéralement : ce n’est pas mauvais.

Sans vouloir faire l’ethnolinguiste il faut bien reconnaître que toute langue est la marque d’un mode de penser et de comportement spécifiques à une population. Chaque langue exprime le caractère du peuple qui la parle. « Qu’es entau », c’est ainsi qu’en langue d’oc, nous avons l’esprit étrangement tourné, « virat ». « Disem sovent lo contrari de çò que pensam per afortir nòstre biais de veire ». Nous disons souvent le contraire de ce que nous pensons pour mieux l’affirmer. Des exemples ? « De segur », bien sûr, « ne’n veiqui quauques uns ». Vous êtes invités chez des autochtones du Périgord, au milieu du repas ne dites pas c’est bon mais dites plutôt « Quò es pas meschent », ce n’est pas mauvais. De même ne formulez pas qu’il fait beau temps mais plutôt que « lo temps es pas meschent per la sason ». Si vous m’en croyez vous ne direz plus noir, mais « blanc coma la coá d’un merle », blanc comme la queue d’un merle. Ne dites plus c’est cassant, dites «qu’es sople coma un veirre de lampa », c’est souple comme un verre de lampe. De l’idiot, « de la babòia, dau bimbaud, dau bicòi, dau birlaud, dau conilh, de la conifla, dau baboier », ne dites plus de lui qu’il est bête, mais dites « qu’es fin coma lo sent esperit », qu’il est intelligent comme le Saint Esprit.

Et oui, les périgourdins sont ainsi faits : pleins d’un pessimiste raisonné ou d’un optimisme tempéré, ils rechignent à se montrer totalement positifs. Peuple de croquant, nourris de mille ans de coups de pieds au c.., ils retiennent leur enthousiasme, au cas où, on ne sait jamais.ils sont les rois de la litote. Cela leur donne un humour plein de périphrases. Ils sont toujours prompts à des comparaisons moqueuses, « mocandieras o trufandieras », et cela peut parfois les faire passer pour un peuple de moqueurs. Mais ceci n’est qu’une apparence faite pour cacher une vraie pudeur.

« Lo merchat / lo mercat » (prononcé lou mércha / lo mércat) – le marché

« A lo merchat ! » Pas de vacances sans marché ! Cela fait partie intégrante des vacances réussies. « I a nonmàs a se permenar sus los merchats dau Perigòrd per se’n convencer ! » Promenez-vous sur les marchés périgourdins et vous verrez si je me trompe. « S’i parla màs inglés, olendés e parisenc », on n’y parle qu’anglais, hollandais et parisien. Il y a bien quelques vendeurs qui forcent l’accent pour faire plus couleur locale mais à part les vieux habitués qui font claquer la langue d’oc il semblerait que les autochtones aient fuit le pays. « Son benleu anar far los toristas alhors », ils sont peut-être allé faire les touristes ailleurs.

A ce sujet, j’ai appris ce matin, « aqueu matin », qu’il faut se méfier de certains produits fermiers, « qu’an màs de bòrda », qui n’ont de ferme que le nom. Alors « desjà per pas èsser borrut o pelat » pour moins risquer d’être trompé, « vos fau ‘chaptar o crompar », il vous faut acheter des fruits, « de las fruchas », et des légumes, « de l’ortolalha », de saison. En ce moment vous pouvez trouver : daus prossec o persegas » (daw prouchè ou pèrsegos), des pêches, « daus brunhons », « de las pastecas, daus melons » ( dé la pastéca, daw mélou), « de las maussas, daus perons », des fraises, des poires, « e de segur », et bien sûr « de las tomatas », des tomates, car comme tout le monde le sait les tomates sont des fruits. Du coté de « l’ortolalha » c’est le moment de se régaler (mot occitan) de courgettes, de concombres et d’aubergines appelées aussi « viechs d’àse » en raison de leur forme et de leur couleur qui semblables à une partie du corps de l’âne.

Et « per çò qu’es de non pas se far enganar, trompar, jugar o enviblar », et pour ce qui est de ne pas se faire tromper sur les marché, je vous conseille de fréquenter « los merchats de productors», les marché de producteurs. Sinon, « vos fau me fialar, vos donarai las bonas adreiças », appelez moi, j’ai mes adresses.

Gardar la mesura, seguida (prononcer gorda lo mézuro, chéguido)- garder le sens de la mesure, suite.

A l’automne passé je vous citait la phrase du troubadour, seigneur d’Hautefort, Bertran de Born : « Mas sens mezura non es res : », mais sans la mesure il n’est rien. A ce vers, quelques siècles plus tard, en latin cette fois, lui faisait écho un autre immense penseur périgourdin, Michel de Montaigne, en écrivant : servare modum finemque tenere naturamque sequi, il faut garder la mesure, observer la limite et suivre la nature.

« Gardar la mesura », c’est là une maxime qui convient bien à la douce et verte terre du Périgord. Elle est le reflet du caractère « umile », humble et respectueux dont a toujours su faire preuve notre peuple. Et « fau se’n sovenir », il faut s’en souvenir en ces lendemains, « quilhs endomans » d’élections municipales. « Los qu’an ganhats », ceux qui ont gagné doivent penser à ce que l’on dit du prétentieux. Nous disons de lui « que fai lo petaventa », qu’il fait le pète vente, « que s’ufla coma dindau », qu’il se gonfle comme un dindon, « lo mossuraud », le grand monsieur, qu’il est « fier coma un vielh àsne », fier comme un vieil âne, « coma una jaça o una agaça », comme une pie, « coma un jau sus son fumarier », comme un coq sur un tas de fumier, ou plus périgourdin encore « coma un jarric de la Dobla », comme un chêne de la Double.

« E per ilhs qu’an perdut », et pour les perdants, « lor fau pas migrar », qu’ils ne s’inquiètent pas. « I a pas de que », il n’y a pas de quoi se mettre en colère, « s’esmalir, s’esmaliciar, s’esfeunir, se far petar la coa » ; ou pire encore « se ’racar la vita », se foutre en l’air. « Ne’n es de la politica coma dau Championat », il en est de la politique comme du Championnat, d’autres mach, « d’autras partidas » viendront. Il y a toujours des mach retours. Et à l’exemple de Serge Blanco, on peut être un immense joueur sans jamais avoir réussi à gagner « lo Championat ». « E quò l’empachèt pas jamai de jugar ! »

« Los cremats » (prononcé lou créma) – les brûlés

« Dimenc entrant », dimanche prochain, cela fera 764 ans, le 16 mars 1244, que « sus lo lenhier », sur le bûcher de Montségur en Ariège, les derniers cathares occitans « fuguèren cremats », furent brûlés.

« Lo chasteu o castel », le château de Montségur se livra après un siège, « un sieti », exceptionnellement long de dix mois. Plus de deux cents, « mai de dos cents » cathares, hommes et femmes, « òmes e femnas », refusèrent « de renegar », de renier leur foi. « Fuguèren menats au lenher », ils furent menés vers un bûcher géant aménagé au pied de la forteresse, en un lieu aujourd'hui connu sous le nom de «Prats dels Crémats», de pré des Brûlés.

Mais entre la reddition de la citadelle du vertige et « lo lenher », quinze jours, « doas setmanas », auront été accordés aux assiégés. « Quò qui vai esfeunir », cet évènement va exciter plus tard la curiosité des chercheurs de trésor. En effet « se dich que los catars n’aurián profiechat », il se dit que les cathares en auraient profité pour mettre à l'abri un hypothétique «trésor» ? L'hypothèse s'appuie sur une chronique de l'époque faisant allusion à quatre cathares « qu’ aurián fugit », qui auraient fui « en portar », en emportant un sac mystérieux. Mais peut-être ne s’agissait-il là que d’un trésor spirituel. Cette hérésie chrétienne fut une des rares à ne jamais prêcher autre chose que la non violence, le don aux plus pauvres, l’amour de son prochain comme l’égalité des sexes ; et cela dans un monde où la violence même cléricale était monnaie courante. C’était en soit une révolution. L’inquisition catholique eu raison d’elle et extermina tous les cathares. Avant de périr en 1309 sur le bûcher du château de Villerouge-Termenès, Bélibaste, « lo darrier », le dernier parfait cathare, fit cette prédiction : « Al cap dels sèt cent ans, verdejerà lo laurier», au bout de sept cent ans, le laurier reverdira. « Avem aura passat los set segles ».

« L’ostau de vila o meraria » (prononcé l’oustau de vilo ou mèrorio) – la mairie

La signalisation bilingue permet de mettre en valeur un territoire, c’est une façon, « un biais », simple et des plus efficaces « de far valer », de faire valoir la culture originaire du pays sans menacer les autres langues et cultures qui s’y trouvent également. « Quo es dins aqueste esperit », sans dans cet esprit que je propose aujourd’hui aux futurs « elegits » des 9 et 16 mars prochains un lexique de la ville fr/oc.
Imaginez qu’à « la maison comuna », à la mairie ou sur l’ensemble de la commune on puisse enfin voir les indications en occitan et français. Cela donnerait à peu près cela. Vous auriez des panneaux pour vous rendre à « l’escòla-l’école, lo collegi-le collège, lo liceu-le licée, l’ostau de vila-la mairie, la glèisa-l’église, lo campatge-le camping, las zònas d’activitats-les zones d’activités, l’espaci omniespòrts-l’espace omnisports, la piscina, l’estàdi municipau-le stade municipal, la sala de las festas-la salles des fêtes, e los quite comuns-et même les toilettes publiques.
Vous sauriez vite si vous êtes « a la Comunautat d'aglomeracion o a la comunautat de comunas ». « L’ofici de torisme » vous donnerait toutes les indications sur les déplacements en ville, « lo malhum de la vila e los transpòrt de l’Aglomeracion ». Vous auriez aussi des renseignements sur « lo Musèu de la miniatura », sur le musée de la miniature, « sus los espacis verds », sur les espaces verts, « e benleu tanben », et peut-être aussi sur « lo desvelopament sostenible de la comuna », le développement durable de la commune.
« E causa primordiala », et surtout vous pourriez facilement trouver « la melhora alberja rurala dau canton », la meilleure ferme-auberge du coin, comme « los restaurants e los estanguets », les restaurants et les bars les plus sympathiques de la ville. Enfin la cité dynamique et novatrice sera en bilingue franco-occitan.

« O con ! » (prononcé : o coun)-Exclamation sudiste.

Souvenez-vous, je vous ai expliqué un jour que le mot racaille, « la racalha », vient du verbe « racar », vomir. On dit ainsi en Périgord de quelqu’un de méchant que c’est une raque, « una raca ». Il n’en est pas de même du mot con. Celui-ci, issu du latin cunnus, attesté par des graffitis réalisés dans l’antiquité il désigne le sexe de la femme. Par glissement sémantique il s’est doublé en français et sert d’insulte envers quelqu’un d’imbécile. Il existe aussi en occitan mais il est surtout utilisé comme juron dans l’expression « O con ! » Doublé de « puta » il donne « puta con », sorte de virgule admirative ou exclamative qui ne veut rien dire mais qui soulage.
On lui préfère en langue d’oc, « colha »-couille dans l’expression « quala colha » ou le masculin « colharaud » qui est un augmentatif bien plus grossier encore. Comme d’habitude, le diminutif « colhon » (prononcé couilloun) voit le sens atténué et désigne le gentil imbécile, le dupe, bien moins péjoratif qu’en français, il est parfois même sympathique. Nous l’employons souvent et sans agressivité.
Enfin, le mot que nous utilisons le plus pour parler de l’autre est sans doute « lo conilh » (prononcé lou counill) Il nous vient du latin cunniculus. Il est sans rapport avec cunnus. Comme chez les romains il a un double sens. Il désigne le lapin, mais en argot latin comme en occitan il sert également à parler de façon affectueuse du sexe de la femme. Pour anecdote, n’avez vous jamais remarqué la rue des trois counils à Bordeaux ou des deux counils à Sarlat. Dans ces villes occitanes, avant l’arrivée de la langue française dans notre pays, on désignait ainsi la rue des prostituées, la rue « daus conilhs », la rue des filles et non pas des lapins. Il est à noter que le mot « conilhon » (counillou) est carrément affectueux. Il pourrait se traduire par chenapan et se trouve donc très éloigné de l’expression française : pauvre con !

La comuna (prononcé lo coumuno)-la commune.

Ce mot nous vient d’un latin populaire communia qui désigne une communauté de gens. « A la débuta », au départ, c’est une association de bourgeois, habitants des bourgs. « De’n prumier », d’abord crées dans des moments exceptionnel et d’urgence, « quelas associacions urbanas » (kéla achochiachiou urbana), ces associations urbaine vont « brin a brin », peu à peu, s’organiser pour devenir des communautés à forte autonomie.
En domaine d’oc va se développer dés le X° siècle « jursinc’au jorn de la conquesta francesa », jusqu’à la conquête française du Languedoc en 1270 et de l’Aquitaine en 1453, un modèle économique et culturel original. « Las comunas dau miegjorn », les communes du midi sont « dubertas », ouvertes aux influences venues d’Orient et « eiretieras », héritières du droit romain. Nous avons de très nombreux témoignages de la vitalité de ces petites Républiques urbaines et de leurs larges libertés communales. « Entau », ainsi, s’installa en janvier 1189 la République de Toulouse, 600 ans avant « la Revolucion francesa ».
« Veiqui d’exemples de chartas comunalas que se trobavan a l’Edat-Mejan en domeni d’òc ». Voici quelques exemples de chartes communales en cours au Moyen-Âge dans le midi. « Laidonc » à Fors de Bigorre on déclarait, bien sûr en langue d’oc, en 1097 : « Nous qui valons chacun autant que vous et qui, réunis, pouvons plus que vous, nous vous établissons notre seigneur, à condition que vous respectiez nos droits et privilèges, sinon, non. ». De même, « tot parier a Bordeu », à Bordeaux au XIII° siècle les habitants écrivaient : « Tots los òmes e totas las terras son liuras de lora natura e, tota servituda es usurpada e contrari au drech comun »-Tous les hommes et toutes les terres sont libres de leur nature et, toute servitude est usurpée et contraire au droit commun ».
Et dire « que n’i a enquera », qu’il y a en a encore pour s’étonner de notre appétit pour les municipales !